DEPASSEMENT

ECOCIALISME

ECO-MONDISME

 

 

Droits de l’homme et Ultralibéralisme

Quelle évolution possible ? L’ombre d’un nouveau système totalitaire

Une réponse possible : une société du Développement Durable

La recherche de l’autonomie

Epilogue

A la recherche d’une nouvelle démocratie :
des Droits de l’Homme au
Droit Personnel au Développement Durable

Jean-Paul Foscarvel

 

 

La démocratie représentative semble être l’idéal atteint par les différents régimes de l’occident avancé. C’est au nom des droits de l’homme et par la démocratie que les pays socialistes se sont libérés. Néanmoins, un malaise perdure. Par delà la libération à outrance, au delà du mot, se cache une autre réalité.

 

Le libéralisme est devenu la clef de tout discours qui se veut contemporain. Mais quel libéralisme, quelle liberté, pour qui ?

 

Si le droit de vote n’est pas contesté, comment ne pas voir que la construction européenne se réalise en dépi de toute expression populaire. Un parlement consultatif n’est-il là que comme paravent d’une technocratie à tendance totalitaire ? Qu’est-ce, cette démocratie ?

 

1.      Droits de l’homme et Ultralibéralisme

Les droits de l’homme libéral, notamment les droits du propriétaire, jusqu'à leur limite,  l’indifférence au sort d’autrui, sont-ce encore des droits de l’homme ?

 

Peu importe en effet à l’ultralibéral le devenir d’autrui. Son sort ne l’importe pas. Contrairement au capitaliste, qui avait besoin d’une main d’œuvre soumise à l’ordre, afin de faire prospérer ses industries, l’ultralibéral n’a plus besoin de cette main d’œuvre, soit qu’il s’en passe pour créer sa part de plus-value, soit qu’il cherche ailleurs. Son sort l’indiffère donc totalement. Il met alors en œuvre des moyens de dislocation, afin de déstructurer la société que ses ancêtres avaient contribué à hyperstructurer. Contradiction ? Non, simplement modification des conditions socio-économiques, qui rendent caduques les anciennes structures et en appellent d’autres. Par des moyens différents, les mêmes buts sont recherchés, obtenir un gain maximal avec des conséquences minimales (opposition, luttes, etc.). Ce qui autrefois était indispensable à l’expansion du capitalisme devient contrainte inadmissible.

 

Prenons un exemple, la famille. Est-ce par hasard que l’explosion de la famille correspond à la montée en puissance de l’automatisation ?

 

Avec l’automatisation, le capitaliste n’a plus besoin de main d’oeuvre importante attachée au sol, voire à l’entreprise elle-même. Il a plutôt besoin d'une main d’œuvre malléable à ses délocalisations, restructurations, etc. Les anciennes formes d’attache familiale deviennent alors, non plus des ferments de son expansion, comme au dix-neuvième siècle, mais des freins. La révolution soixante-huitarde est alors une aubaine, faisant éclater la famille et créant une destruction des liens, évolution nécessaire à la poursuite de l’exploitation sous des formes nouvelles. De plus, cette liberté individuelle prônée permet en surplus la dislocation des solidarités par la critique des syndicats et des formes de socialité dont il a la plus grande crainte. Par ailleurs, les « gens » ont eu l’illusion de se libérer, ce qui stimule leur énergie et les rend plus malléables. D’une pierre trois coups, mai soixante-huit fut une aubaine pour le capitalisme en transformation vers l’ultralibéralisme. La voie ouverte vers la déstructuration sociétale du « chacun pour soi » nécessaire à l’instauration d’un système totalitaire moderne.

 

Le slogan « interdit d’interdire », ne signifiait-il pas qu’aucune limite ne devait entraver la libre disposition de soi ? Mais y compris au détriment d’autrui. S’il est interdit d’interdire, cela signifie que nul ne peut m’empêcher de commettre un meurtre. Pourquoi en effet limiter ma libre volonté ? A la victime  de se défendre par les moyens qu’elle entend utiliser. Bien sûr, ce n’était pas le but de ceux qui en employaient ces mots, mais derrière les mots la mort.

 

La liberté n’est plus vue dans l’ensemble de ses acceptions, mais est parcellisée. Notamment, le côté social de la Déclaration Universelle des Droits de l’homme est sciemment ignoré[1]. A ce propos, il est remarquable de voir comment, cinquante ans après, ce texte est resté lettre morte dans les pays mêmes qui ont œuvré à sa mise en exergue.

 

La limite à la liberté de tous sur tous se trouve dans le règne animal. Mais alors que dans ce monde, c’est l’instinct qui règle les comportements, celui-ci n’est plus un repère pour l’homme, qui s’est sorti de la contrainte par la génétique pour  se construire à partir du social[2]. Mettre à bas le social chez l’homme n’est donc pas retourner à l’état d’animal, mais entrer dans un état inconnu, où les individus sont uniquement guidés par leur recherche de plaisir, c’est-à-dire par la pulsion de mort[3]. Le nouvel état sociétal ainsi créé n’est pas l’état de nature, mais l’état de barbarie.

 

 

1. 1.      Féodalité et libéralisme, la création d’une anarchie  totalitaire

Au niveau de la société, se met en place une sorte de volonté de saborder l’Etat. Comme l’individuel est prôné, les structures institutionnelles sont attaquées, comme faisant obstacle à la modernité, c’est-à-dire à la libre disposition de soi par soi.

 

En réalité, ce qui est visé, c’est le rôle régulateur de l’Etat, affaiblissant le fort et renforçant le faible, rôle sans lequel aucune civilisation n’est possible. Une société idéalement régie par la loi du marché, est une société où les grandes féodalités modernes, ces multinationales tentaculaires, régissent le monde.

 

Il ne s’agirait plus d’appartenir à tel ou tel État nation souverain, mais de faire partie, et d’être protégé, par telle ou telle multinationale. Le principe inclus/exclus ne repose plus sur la nationalité, mais sur l’obéissance aux nouveaux acteurs que sont les Grands Multipôles Financiers.

 

Seule la lutte acharnée entre ces multipôles ferait la loi sur le marché mondialisé, à l’exclusion de toute autre considération. La citoyenneté n’aurait plus lieu d’être, les instances dirigeantes étant tout, sauf démocratiques (obéissance absolue des esclaves de ces grands groupes).

 

 

1. 2.      Séduction et contrainte, les vecteurs de la propagande ultralibérale

Le cynisme est désormais la règle des relations interpersonnelles. Le règne du « chacun pour soi, chacun chez soi » a conquis la sphère des citoyens qui vivent dans une perpétuelle lutte sans merci les uns contre les autres. La liberté est conçue sur le plan de l’individu, si bien que tout ce qui fait obstacle au libre arbitre de soi par soi, est considéré comme une atteinte à la liberté, même si ce libre arbitre a pour but d’empiéter sur la liberté d’autrui. Chacun veut avoir plus que le voisin. Plus de pouvoir, plus d’avoir, etc.

 

De fait, la séduction et son corollaire, la corruption, notamment par les moyens d’oubli du réel (alcool, drogue, images synthétiques, etc.) sont des éléments de la lutte idéologique des ultralibéraux contre leurs opposants.

 

Il est intéressant de comprendre comment cette attitude se propage, alors qu’elle est globalement négative.

 

 

1. 2. 1.      L’Art comme incitation :  le  destructivisme ultralibéral

L’art comme sens donné au chaos se laisse substituer par la marchandise objet de spéculation, ou bien à une éthique de l’autodestruction de soi. C’est ce dernier aspect que nous appellerons le destructivisme ultralibéral.

 

Pourquoi ?

 

Ce qui est proposé est, une fois encore l’individualisme pur : l’artiste comme but ultime de l’art comme auto-glorification,  d’autant plus qu’elle repose sur la destruction de soi. Par la drogue, l’automutilation, la destruction d’objets usuels comme forme d’Art, l’artiste destructioniste ultralibéral donne la destruction comme libératrice, atteinte aux limites du possible et de l’impossible. Ce n’est plus la liberté sartrienne[4] qui est visée, où l’être assume les choix qu’il n’a pas faits, pour peut-être ensuite leur donner sens en vue d’une autonomisation, mais une liberté vide où les limites sont constamment dépassées, ou supposées l’être. On n’assume pas la contingence pour la transformer par ses actes, on cherche à nier toute contingence par la recherche perpétuelle dont le sens finit par échapper.

 

Mais ce qui est donné, est alors le non-sens absolu de toute vie, le caractère absurde de l’existence, sans qu’aucune porte ne s’ouvre. Aucun chemin ne subsiste, seule l’inutilité de la vie est donnée, jusqu’au suicide présenté comme solution. Révolte ultime récupérée par le système. Ce suicide sied à l’utralibéral. Puisque rien n’a de sens, toute velléité d’autonomie, toute revendication devient vaine. Tout est alors vain, et l’homme ne peut que se terrer dans son individualisme libéré de toute contrainte, pour s’enfoncer dans la recherche sans limite des plaisirs immédiats, jusqu'à la pulsion de mort libérée de toute contrainte : l’infini plaisir du suicide comme ultime au destructivisme ultralibéral.

 

La liberté est alors représentée par tous les abus imaginables, ou non. La drogue, le sadomasochisme, toutes les perversions sexuelles de la dépossession de soi et d’autrui, le vandalisme, le meurtre, la violence gratuite, deviennent des étalons de l’ultraliberté. Peu importe en effet, puisque chacun est indifférent à chacun. Quant aux élites, protégées dans leurs ghettos électroniquement sûrs, elles ne craignent rien, ou presque.

 

Par ses Oeuvres,  l’artiste du non nommé courant déstructivisme ultralibéral présente cette seule destruction comme esthétique du plaisir pur. Je prendrais un exemple polémiquement significatif, Arman, aux Oeuvres adulées par le monde médiatique. Qu’y a-t-il ? Des décompositions des accumulations, des objets brûlés, etc. L’accumulé, les objets du quotidien, ou de l’industrie. Bouchons, masques à gaz, caddies, etc. : les objets issus de la production industrielle. Le découpé, les violoncelles ; le brûlé, les vieux fauteuils : objets de la culture soumis à la destruction. Accumulation fétichiste des produits du capitalisme florissant, destruction des liens culturels avec le passé.

 

Par destructivisme, nous n’attaquons pas  l’idée de déconstructuration, qui est à la base du mouvement moderne, mais bien celle de la destruction de soi et des autres. Où réside la différence ?

 

Dans la déconstructuration (déconstruction/destructuration), sont déconstruites, déstructurées, par le recul, la critique, les formes devenues figées d’un Art progressivement académique. L’impressionnisme, le surréalisme, le cubisme, sont de cet ordre là.

 

Une forme est remplacée par une autre, moins intuitive. Un degré est franchi. L’homme prend conscience de ses à priori formels et avance par le recul qu’il prend face à ses stéréotypes. De l’instabilité créée naît une position d’incertitude dynamique. Du stable intemporel le sujet passe à l’instable temporel. Du décalage au recalage, un déplacement a lieu.

 

Une relativité nouvelle intervient, un nouvel ordre peut s’établir, un nouveau rapport au monde, une distance s’établit de l’ordre d’une connaissance. A partir de cette déconstructuration peut éclore un état de conscience renouvelé, une construction peut s’établir, une structure s’élaborer. Du négatif surgit alors sa propre négation, le positif.

 

En ce sens, bien qu’apparemment proche d’Arman, César en est l’exact opposé. Il utilise ce qui est déjà dépossédé de sa forme, et transforme la destruction en construction par ses compressions. Il ne détruit pas les symboles de la culture, mais réutilise les déchets de l’industrie pour en faire un objet empli du sens de l’être. Ces dernières Œuvres, surtout, nous interrogent sur la mort, signifiant par là la valeur infinie de l’humain et l’infinie souffrance de l’inéluctable fin.

 

Dans le déconstructionisme, il s’agit de tout autre chose. De faire accepter à l’homme son inutilité, la futilité de son existence, le caractère obsolète de toute culture. Lorsque la mort n’évoque plus la douleur de cette insupportable disparition de l’Autre, alors cap au pire[5].

 

Il ne s’agit plus de mettre des distances, de franchir de nouvelles limites, de se libérer d’anciennes contraintes vers un nouvel équilibre, mais de nier la possibilité de tout rapport à la culture, de tout rapport à l’autre. De l’abolition de toute limite, l’artiste débouche sur le vide. Seule solution proposée au problème de l’existence, l’autodestruction libératrice de soi.

 

Mais après la mort de la civilisation, de toute possibilité de civilisation, de l’art, de l’artiste, il ne reste justement rien. Plutôt, il reste la spéculation sur des œuvres qui prônent la futilité de toute œuvre.

 

Spéculer sur la mort, l’ultime du cynisme ultralibéral.

 

 

1. 2. 2.      Le rôle des médias

Il est essentiel dans cette course à la déstructuration de la société. Faire admettre l’inacceptable, produire des schizes[6] dans le champ social à travers lesquelles la déstabilisation peut s’insinuer, faire éclater les anciennes solidarités, prôner l’abandon de toute idéologie, renvoyer la culture à la sphère de la communauté, voire de  l‘individu. Faire entrer dans les têtes l’abandon de toute valeur humaine. « Chacun pour soi, chacun chez soi ». Tant pis si le collègue perd son travail, si le voisin perd son logement, si le mendiant perd sa vie.

 

Les médias utilisent plusieurs moyens. D’une part la reprise des films hollywoodiens permet de vendre un mode de vie centré sur le matériel, où la vie humaine d’a plus aucune valeur, où les meurtres se succèdent, au nom du culte de l’argent, la caméra toujours du côté de celui qui tue, jamais de celui qui est tué, où la victime est abandonnée à son sort dans la totale indifférence. D’autre part les actualités permettent de faire référence au réel comme justification des films montrés. On recherche systématiquement le spectacle sanglant. Enfin, on dépose les exclus de leurs droits en les enfermant dans leur exclusion, en leur demandant d’être à l’image de ce que l’on veut bien qu’ils soient.

 

Ainsi, il est dit, jour après jour, au spectateur que la vie humaine est sans valeur face à la libre jouissance de quelques élus qu’il se doit d’imiter pour lui aussi peut-être un jour faire partie de ces « happy few », séductrice illusion.

 

1. 2. 3.      Une consommation aliénée

La grande justification du système se trouve dans la liberté qu’aurait chacun de tendre vers son bonheur maximal par ses choix de consomation. La serait la liberté totale du consommateur livré à son bon plaisir. Mais il n’en est rien.

 

La publicité est un élément essentiel d’aliénation par la séduction consumériste. Tout fonctionne à l’envers. Ce n’est pas le besoin réel du consommateur qui est le moteur, donc sa liberté, mais ce besoin est créé par la séduction. Pour créer ce besoin, c’est par la sexualité que le système passe. Le vecteur fondamental de la séduction se situe au niveau de la sexualité. Ce qui est plaisant chez l’homme et la femme, son rapport ambigu à autrui dans un rapport d’enchantement, de désir, de plaisir promis, se transforme en son contraire, un piège où le désir s’effondre lors de son assouvissement, provoquant l’apparition d’un nouveau désir, jusqu'à épuisement. C’est l’exploitation du désir par la publicité.

 

La publicité sexualise le rapport au produit, le transformant en objet de désir. Les automobiles ont des formes toujours plus galbées[7], les présentations de produits sont toujours érotisées, phalliques pour les femmes et arrondies pour les hommes, ce qui en justifie des prix élevés, le rapport au sexuel étant inscrit dans la valeur comme fournisseur de plus-value différée à son fabricant. Mais le plaisir fourni par le produit étant illusoire, la déception intervient immédiatement, créant un nouveau désir de consommation qui à son tour sera décevant.

 

« Faire fructifier la déception ! » slogan implicite de la publicité.

 

Un cercle se crée, alimenté par l’inadéquation voulue du produit à ce qu’il ne peut de toute façon pas remplir, sa fonction érotique liée à la publicité qui en est faite. L’achat s’effectue alors dans un marché de dupe où ce qui est promis n’est pas fourni,  n’existe pas. De cette façon se crée un flux de désir, qui peut être par ailleurs alimenté par une dette infinie sur les futurs revenus des consommateurs.

 

Un modèle dans le  domaine de la séduction perverse, quoique non directement sexuelle, pourrait être le marché de la drogue. Il a l’avantage de produire des revenus financiers importants par la fourniture d’une substance au départ séduisante par le potentiel de plaisir qu’elle est sensée fournir, et qu’elle peut fournir réellement, mais de manière factice, sans intervention de la personnalité. Dans ce cas la déception ne vient pas du produit,  mais du retour au réel rendant son usage à nouveau nécessaire. Le comble est que l’usage des drogues provient de la difficulté de vie produite par le système lui-même, et que son usage à la fois permet des revenus substantiels, et, par la dépendance, limite la capacité à la révolte vis-à-vis du système par l’illusion de liberté que le produit procure. Le système gagne sur tous les tableaux.

 

Aliénés dans leurs rapports au travail, ils sont également aliénés dans leurs rapports à la consommation. Mais c’est alors la sphère de la sexualité elle-même qui est attaquée par l’idéologie ultralibéral, remplaçant le plaisir partagé par le plaisir individuel pur, constamment décevant, permettant son expansion par sa déception même.

 

 

1. 3.      Gauche post soixante-huit et Ultralibéralisme

C’est au nom de la liberté individuelle que la gauche détruit les liens sociaux collectifs. C’est au nom des droits de l’homme qu’elle privatise les structures établissant l’intérêt général, les transformant en lieux de relations interpersonnelles. C’est au nom de la liberté que l’Etat se désengage, laissant à la marge une part croissante de la population, priée de se débrouiller seule pour s’en sortir, et soumise à la pression toujours plus pressante des liquidateurs. C’est au nom de l’individu que sur les trottoirs des grandes métropoles meurent de froid et de faim les mendiants d’un système libéral florissant à l’indifférence des passants affairés.

 

L’école elle-même, autrefois préservée, est sommée de s’adapter et d’introduire des critères qui jusqu’à présent étaient réservées aux entreprises, comme l’efficacité, la concurrence, l’apprentissage de métiers plutôt que l’instruction, et la formation professionnelle plutôt que celle du citoyen. Au sein de l’école, l’autorité du maître est contestée, laissant place à la motivation de l’élève. A l’intérêt collectif fondant le substrat d’un universel commun, est substituée la libre expression de l’individu, seul, apprenant non dans le sens d’une appartenance à la communauté humaine, mais pour son intérêt personnel particulier.

 

Un piège est tendu, où les partis sensés être proches des opprimés sont leurs oppresseurs, prétextant un caractère incontournable des réformes économiques nécessaires à la destruction sociale. L’idéologie de la liberté de l’individu, dégagé de toute contrainte, cache celle de la concurrence. En réalité, tous les individus ne sont pas libres, mais une infime partie d’entre eux, qui dispose de tout, et qui donne son mode de vie comme exemple. Mais cet exemple demeure inaccessible.

 

Au nom du libre choix, c’est un dérèglement total de la société qui est établi. Flexibilisation derrière la modernisation au nom du libre arbitre du consommateur. Mais c’est au nom de son choix de la marque la moins chère, celle donc qui appliquera les critères de rendements les plus durs, que le consommateur se verra lui-même flexibilisé, précarisé dans son rapport de production.

 

Il en résulte un appauvrissement généralisé des populations de la planète délibérément établi par de hauts responsables, au nom d’une certaine vision de la liberté, afin de faire croître les quantités monétaires dont eux et leurs acolytes sont possesseurs.

 

Il n’y a là rien d’inéluctable, et l’attitude de ces partis de pseudo-gauche a justement pour but de le faire croire. Le raisonnement serait que puisque la gauche fait une politique de droite, cela prouverait l’unicité de la politique possible. Cela revient en fait à nier la possibilité d’un choix, donc celle de la démocratie.

 

                                                                       

 

2.      Quelle évolution possible ? L’ombre d’un nouveau système totalitaire

De quelle population les Ultralibéraux ont-ils besoin pour être eux-mêmes satisfaits ? C’est la vraie question (celle de la fameuse « employabilité »). Il est à craindre que tout le reste de la planète ne soit promu à la déchéance si rien n’est fait.

 

Scénario catastrophe irréalisable, ou futur possible d’une humanité perdue ? la première réponse serait satisfaisante, mais lorsqu’on prédit une catastrophe, l’hypothèse de rigueur n’est-elle pas la plus pessimiste, justement pour y parer et faire en sorte qu’elle ne se produise pas ?

 

C’est donc l’hypothèse qui va être prise ici, en cherchant à en trouver les indices de déjà la réalisation en cours, et en souhaitant  découvrir une parade possible. L’idée de l’évolution possible, mais pas inéluctable, dans la mesure où l’on admet l’absence de toute téléologie, vers un système totalitaire repose sur deux fondements du totalitarisme, c’est-à-dire indifférence au sort d’autrui et superfluité d’une partie des humains.

 

Le point de divergence par rapport à ce que décrit Hannah Arendt[8], se situe par rapport à l’émergence nécessaire d’un chef charismatique. Le totalitarisme ultralibéral diffère en ce sens du nazisme, ou du stalinisme, en ce qu’il n’a plus besoin de ce chef absolu. Le système est alors à lui-même son propre chef. Nul souverain ne décide, mais la simple logique d’un système auto engendré devient à lui-même sa propre justification. A la limite, nul homme, nulle femme, n’est nécessaire à la poursuite de but à la plupart inaccessible. Lorsque la conservation du système est à elle-même sa propre fin, tout est à craindre.

 

Une sorte de machine se crée, machine à broyer des individus au nom du collectif, machine d’autant plus perverse que ce collectif cache de fait la supériorité de quelques individus sur le collectif des humains dans la sphère de l’Humanité. Un flux se crée, celui qui va de la grande masse, les ballottés,  vers les exclus. La machine, ainsi alimentée par l’effondrement social, augmente ce flux, qui favorise l’influence idéologique des décideurs.

 

Pour survivre, les ballottés sont obligés d’adhérer à l’idéologie ultralibérale, si bien que plus la machine fait de victimes, plus les futures victimes ont tendance à entrer dans le système, donc à devenir individualistes, ce qui les fragilise vis-à-vis du système qui s’apprête à les broyer. La masse d’exclus est ainsi sans cesse croissante, jusqu'à ce que la bourgeoisie internationale considère avoir atteint son objectif, à savoir l’élimination d’une bonne part de la planète, laissant en vie, voir en survie, la partie qui pourra la servir directement.

 

Le terme même d’exclu est un moyen pour le système d’enfermer l’être ainsi dénommé dans une sorte d’identité d’où il lui est demandé de ne pas sortir. Celui qui parle en tant qu’exclus, n’a pas de nom. Lorsque tel ou tel reportage fait intervenir un dit exclu, SDF ou jeune-de-banlieue (également beur), celui qui parle est rabattu sur son identité, la seule qu’on veut bien lui voir. Le SDF doit être alcoolique ou mieux drogué, le jeune-de-banlieue doit avoir un accent banlieue, écouter du rapp, et être violent. Cette manière d’agir qui nie la parole par l’identité, correspond au signe d’une pensée totalitaire, analysée par Alain Finkielkraut[9].

 

Le système n’a plus besoin de camp, la rue seule lui suffit, isolant dans une sorte de ghetto intérieur celui qui est tombé du système social. L’indifférence au sort d’autrui fait le reste : l’ignorance au sort des exclus. Cette ignorance est également ignorance à son propre sort, c’est-à-dire la méconnaissance du devenir. Des tendances se font jour pour considérer les SDF comme des malades mentaux, des personnes inadaptées au système (expérience à Metz d’aide psychologique aux sans abris, qu’on laisse dans la rue par ailleurs). 

 

Le politiquement correct dans sa version la plus radicale, l’équivalence de valeur entre les animaux et l’homme peut aussi être utilisé contre l’humanité, dans la mesure où, s’il est possible de réaliser des expériences, génétiques ou autres, sur les animaux, il devient par là même légitime de faire ces mêmes expériences sur l’homme. Et puisque l’animal peut être la propriété de quelqu’un, l’homme aussi, dans la mesure où sa fabrication quasi-synthétique devient possible. Un individu ne serait plus alors sujet, mais objet, appartenant à une personne qui l’aurait fabriqué.

 

Le risque final est alors que l’Humanité disparaisse, dans son rapport au passé, dans son rapport à l’autre comme civilisation, laissant place à des humanoïdes c’est-à-dire une forme d’homme d’où l’humanité elle-même serait exclue. C’est cet état de déshumanité que nous cherchons à éviter, considérant le progrès qu’a représenté l’homme dans la construction d’un être, non pas basé sur le déterminisme génétique, mais qui possède en lui-même son propre sens, sa propre voie, toujours potentiellement ouverte vers l’autonomie.

 

Ce que menace l’Ultralibéralisme n’est pas l’homme dans son existence d’espèce animale, mais l’essence qui a été acquise au cours de civilisations sans cesse fragiles, et sans cesse se renouvelant. Non pas une essence donnée, mais au contraire une acquisition lente,  continue, obstinée et tenace. Ce qui fait la différence entre l’homme et l’animal, pour lequel chaque génération doit réapprendre l’ensemble des acquis de la précédente. Au contraire, nous pouvons nous croire géants du fait de l’apprentissage assuré par autrui, communication généreuse entre générations disparues et générations à naître. Nous pouvons perdre cette faculté, purement sociale, sans disparaître physiquement, mais l’espèce ainsi réduite à cet apprentissage de l’ultime survie ne saurait plus jamais avoir le nom d’humanité, dépourvue de tout langage pour se nommer elle-même.

 

L’essence de l’humanité est sociale. L’oublier nous serait irrémédiablement fatal.

 

                                                                      

 

3.      Une réponse possible : une société du Développement Durable

Tendre vers un but tout en sachant ne jamais devoir l’atteindre : la démarche scientifique vers la Vérité.

 

De même en ce qui concerne la société.

 

3. 1.      Vers un Droit Personnel au Développement durable

La démocratie en évolution vers son contraire montre clairement les limites de la notion de « droits de l’homme ». Il est nécessaire de dépasser cette notion, non en la rejetant, mais en lui intégrant de nouvelles définitions rendues indispensables par l’évolution contemporaine.

 

En prenant appui sur les différentes discussions que eurent lieu, notamment à Rio, nous pourrions exiger des  droits pour chacun au développement durable. En effet, il ne suffit pas de décréter les droits à l’expression, à la liberté, mais également le droit à une vie qui permette à chaque être humain de se développer en tous plans de la personne humaine. Il s’agit de droit, et non d’obligation, mais le droit est devenu indispensable. La collectivité a vis-à-vis de l’individu le devoir de favoriser la pleine expansion de ce droit, et une atteinte est aussi grave que celle aux droits de l’homme (ce droit implique une vie décente avec tout ce qu’elle comporte).

 

Certains droits ne sont pas indispensables au développement durable. Même si la déclaration universelle de droits de l’homme inclut les droits économiques[10], à l’origine les droits de l’homme ont été conçus pour répondre à une aspiration de la bourgeoisie, frustrée de l’absence de responsabilité par delà son accession aux biens. Par ailleurs, ce droit permet l’établissement du contrat, notamment le contrat de travail où deux individus peuvent échanger leurs biens (force de travail contre moyens de production). C’est le droit nécessaire à l’établissement du capitalisme, mais il n’empêche ni l’exploitation forcée, ni l’effondrement des individus dans la misère, qui est de fait une zone de non droit.

 

Le droit au développement durable va au delà de la simple intention de ne pas nuire, mais instaure le devoir qui incombe à toute société de ne pas rester indifférente au sort d’un être humain, quel qu’il soit. C’est un droit personnel dans le sens où il concerne la personne physique et morale. Droit à la santé, au logement, à une existence digne, à la liberté de penser et d’agir, droit de décider pour sa vie et son travail. Ces droits-là, actuellement, sont niés à une certaine part de la population y compris des pays riches où les droits de l’homme sont sensés être un référence absolue.

 

Il s’agit au fond de passer d’une prépondérance de l’être à une éthique de l’autrement-qu’être[11], où le sujet de ma préoccupation n’est plus le développement sans limite de mon être propre, de moi considéré par moi comme seul but de ma personne, mais où c’est l’autre que je respecte comme sujet dans toute sa dignité.

 

Faire passer cette éthique personnelle dans le concert de la vie de chacun serait le but de la notion de Droit personnel au développement durable.

 

3. 2.      L’éthique du Développement,  l’action Harmonique

C’est par une dialectique des actions que le mouvement peut se créer à nouveau. Revendiquer, mettre les liquidateurs devant leurs responsabilités, qu’ils se trouvent face à leurs décisions bureaucratiques, rendre à la conscience les ballottés, ceux qui ne se savent pas encore devoir rejoindre la cohorte des démunis, faire entendre la voix des éliminés. Prise de conscience et construction d’une utopie positive qu’un jour une société harmonique, dans la plurivocité de ses autonomies, advienne.

 

Inventer les conditions d’une société harmonique, où le respect d’autrui sera le critère fondamental, au delà de toute pseudo-nécessité mercantile. Non un soviétisme où tout est prévu, mais au contraire une société où la dialectique des contradictions ne se laisse pas refouler dans l’inconscient sociétal, où les pulsions humaines peuvent être reconnues telles, à la fois destructrices et créatrices.

 

Faire porter l’acte sur la signifiance imaginaire du réel. Par exemple emballer la bourse, à la façon Christo avec un contenu politique évident, ou investir d’autres éléments symboliques de la société consumériste (comme d’ailleurs ce fut déjà fait avec des caddies vides devant les supermarchés), ou responsabiliser les décideurs par des actes les engageant (pièce de théâtre aphone devant l’Assemblée, envois de poèmes par fax au CNPF, etc.)

 

Ouvrir les espaces de la solidarité à une société en proie à l’indifférence au sort d’autrui, dominée par une oligarchie préoccupée de sa jouissance immédiate, et situer l’utopie de l’harmonie dans le possible, seuls peut-être les « sans » peuvent,  en l’état de la société, proposer cette démarche.

 

 

3. 3.      Conséquences sur la société

Il faut ici surtout insister sur l’articulation à faire entre le droit de propriété et le droit personnel au développement durable. Dans la Déclaration Universelle des Droits de l’homme, des droits économiques sont définis, mais sans qu’un conflit éventuel entre les différents droits ne soit évoqué, ni qu’une instance ne soit en mesure de faire respecter effectivement ces droits. Ils sont là comme principe, mais sans application les principes de droits économiques sont absolument inutiles, comme on peut le voir aujourd’hui.

 

3. 3. 1.      Les entreprises

Au niveau des grandes entreprises, il n’est plus possible de laisser leur commandement aux mains d’une oligarchie. Une démocratisation de ces structures doit intervenir, laissant le pouvoir à des organismes issus de la société civile, tenant compte des employés eux-mêmes.

 

L’idéologie de la propriété doit être remise en cause, dans la mesure où aujourd’hui ces « propriétaires » ont la possibilité d’influencer durablement l’avenir de la planète elle-même. Lorsque le droit à la propriété est contraire au droit du développement durable, c’est celui-ci qui doit primer. Dès maintenant, cet équilibre des droits, s’il était appliqué remettrait en cause la libre disposition par les entreprises de leurs employés. D’aucune façon une entreprise ne pourrait licencier du personnel uniquement pour que sa cote monte en bourse, ou pour augmenter les dividendes de ses actionnaires.

 

A plus long terme, chaque niveau d’intervention de l’entreprise pourrait  être constitué par un organe de décision démocratique, coordonné dans un réseau décisionnel, afin qu’une cohérence puisse intervenir entre les entreprises, sans pour autant empêcher leur propre dynamique.

 

La notion de service public est à réhabiliter. Ce sont en fait des établissements qui ont pour but, non le profit d’une minorité, mais le bien commun. Tout ce qui touche à l’essentiel de la vie devrait appartenir au service public, notamment la distribution d’eau, la production de médicaments, et aujourd’hui certains services informatiques. Que ce service public soit au niveau d’un état ou dune entité plus grande est un autre problème.

 

Pour les très grandes entreprises, une organisation indépendante au niveau de l’ONU, pourrait intervenir, ceci de manière la plus démocratique possible. La bourse ne devrait concerner que des entreprises de moyenne importance, ne fournissant pas de produits essentiels, n’agissant ni au niveau de la planète, ni d’un continent. Quant aux États, c’est à leur système constitutionnel qu’il appartient de gérer les entreprises résidant sur leur territoire.

 

3. 3. 2.      Limites.

Jamais aucune société n’abolira la souffrance humaine.

 

A partir de ce constat, on peut imaginer qu’aucune société ne peut tenir face aux forces inconscientes qui œuvrent en l’homme à son insu. La pulsion de mort serait plus forte, et finirait par se retourner contre ceux qui voudraient façonner un homme nouveau.

 

Il n’est plus question de façonner quoique ce soit, mais d’employer cette énergie, en la retournant, détournant, sublimant. Tous les hommes ne sont pas des criminels, même si chacun d’entre eux eut un jour le fantasme de la mort. L’expression de l’agressivité humaine n’est pas forcément violente, à condition de l’accepter comme telle sans vouloir la refouler la bloquer, la réprimer.

 

Il y a bien sûr contradiction entre l’harmonie d’un développement possible pour tous et le désir de violence, mais justement l’harmonie est aussi l’acceptation de ce désir sans condamnation à priori. Si l’acte violent doit être condamné, son expression par d’autres voies n’a pas à être en soi réprimé. Ne jamais confondre le désir de l’acte avec l’acte.

 

Si l’oligarchie jouissive est dangereuse, ce n’est pas du fait de la jouissance en soi, mais par une perversité favorisée par le système qui confisque la jouissance, chez qui cette jouissance peut même être provoquée par la souffrance d’autrui. C’est cette équation diabolique de la souffrance du plus grand nombre au nom de la jouissance de quelques-uns qui est à dénoncer, non la jouissance en soi. Une jouissance partagée peut au contraire représenter un réel bonheur, lorsque le respect de l’autre n’est pas remis en cause.

 

Le droit au développement durable constitue une morale en ce sens où il oblige à se poser la question de l’éthique. Par rapport au plaisir, la question n’est plus celle de sa condamnation, ou de son apologie, mais du respect de ce droit vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis d’autrui.

 

Ce droit n’est pas un devoir. Cependant le respect pour autrui de ce droit impose, au delà de la jouissance personnelle de chacun, un devoir vis-à-vis de lui[12]. Devoir qui certes concerne la société, ses institution, sa structure elle-même, mais également l’individu lui-même : tout n’est pas permis, notamment la jouissance par la souffrance d’autrui.

 

Par contre, il n’implique pas un devoir imposé sur soi-même. La question ultime étant celle du suicide. Il n’est pas question de réprimer la pulsion de mort, ce qui aboutit à un résultat catastrophique, son explosion ailleurs autrement, mais de l’interroger, de vivre avec. Le suicide a à être interrogé par rapport au devenir potentiel de la personne, par rapport aux conséquences sur les êtres qui aiment cette personne. Le suicide est une coupure définitive des potentiels de l’être. C’est à cet être d’en méditer l’irréversible. Ce dialogue avec la mort possible peut se transformer en pulsion de vie. Le refus du suicide est alors exigence de vie épanouie, au nom de sa possibilité. Dialectiquement, c’est par la pleine acceptation de sa mort, y compris volontaire,  que naît le désir de vie pleine.

 

Par le développement durable, est dépassé l’absolu d’une morale contraignante, grâce à la relativité d’un droit qui pose par son propre développement des devoirs librement assumés vis‑à‑vis de soi-même et d’autrui.

 

                                                                      

 

4.      La recherche de l’autonomie

Le développement harmonique des individus dans la société, dans l’acceptation de leurs différences, en interrelation constante des uns avec les autres dans un esprit d’ouverture et de respect. Là est le souhait que nous exprimons. Une Civilisation basée sur les rapports entre les humains en pleine possession d’eux-mêmes, en harmonie entre eux et avec l’espace naturel qui les environne. Utopie irréalisable ? C’est à voir.

 

Nous nous laisserons guider par Cornélius Castoriadis[13] : « L’autonomie dans le domaine de la pensée, c’est l’interrogation illimitée ; qui ne s’arrête devant rien et qui se remet elle-même constamment en cause. (...) Qu’est-ce que l’autonomie en politique ? (...) Il y a donc une autonomie politique ; et cette autonomie politique suppose de savoir que les hommes créent leurs propres institutions en connaissance de cause, dans la lucidité, après délibération collective. C’est ce que j’appelle l’autonomie collective, qui a comme pendant absolument inéliminable l’autonomie individuelle. Une société autonome ne peut être formée que par des individus autonomes. Et des individus autonomes ne peuvent vraiment exister que dans une société autonome 

 

A la dialectique hégélienne qui débouche sur une fin de l’histoire, non proposons une dialectique adornienne[14] où les contradictions dialectiques entrent elles-mêmes lors de leur dépassement dans une dialectique où le dépassement lui-même se trouve dépassé dans son mouvement propre. L’aporie de Marx sur une téléologie immanente de l’histoire débouchant sur un communisme indépassable se trouve ainsi elle-même dépassée.

 

En lieu et place de cette attente qui eut s’avérer vaine, la clé d’une société aux autonomies harmoniques pourrait se révéler être un chemin où au delà de l’incertitude surgit la transcendance. Incertitude au sens où rien n’est donné d’avance, où tout peut toujours basculer dans l’horreur si la lucidité se perd dans le discours vide s’auto‑référant lui-même, et transcendance justement en la découverte d’une entité supérieure à l’homme, qui n’est pas Dieu, mais l’Humanité, c’est-à-dire l’inexplicable et néanmoins impératif devoir de transmission d’une génération à l’autre, ce qui fait que chacun d’entre nous n’est qu’un passeur, un être éphémère dans un tout qui le dépasse sans être une totalité qui l’écrase.

 

En ce sens le crime contre l’Humanité est un déicide, et est le pire de tous les crimes. Mais en ce sens également, tout crime au nom de l’Humanité peut être qualifié également de crime contre l’Humanité, car en chaque homme réside l’Humanité, en chacun demeure la flamme invisible portée depuis la nuit des temps, qu’il soit le meilleur ou le pire, y compris les liquidateurs ultralibéraux eux-mêmes, ce qui n’en empêche le juste jugement[15].

 

                                                                      

 

5.      Epilogue

Impossible conclusion d’un mouvement qui n’aboutira jamais qu’à son propre renouvellement. Ce n’est qu’une étape d’un processus sans fin.

 

D’un vingtième siècle succession de troubles, de krachs, de guerres, de massacres, de génocides ; où les dictatures ont laissé place à des systèmes totalitaires, eux-mêmes remplacés par des oligarchies où la démocratie tient lieu de façade ; mais aussi où les sciences ont accompli des progrès inouïs, permis l’exploration de domaines inimaginables ; à partir de ce siècle contradictoire où nous savons presque tout du cosmos et de l’homme, mais où notre action est condamnée à la répétition de l’horreur, d’où nous sortons ébahis ; que nous est-il donné de comprendre ?

 

Rien. Si tout est toujours le recommencement des mêmes erreurs.

 

Suite à l’implosion du soviétisme, au possible établissement d’un système ultralibéral totalitaire, nous proposons une éthique basée, non plus seulement sur les droits de l’homme devenus caducs dans un système de destruction des individus par une oligarchie, mais sur le droit personnel au développement durable. Ce qui est valable pour la planète l’est aussi pour ceux qui l’habitent.

 

Ces droits permettront peut-être un jour que s’établisse une société harmonique, à la fois utopie, mais aussi réalité potentielle d’un advenir invariablement variable.

 

 

Mais suffiront-ils ?

 

 

                                                                                                                                         


Notes



[1]     « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien être, ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que les services nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse, ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. » ; art. 25 alinéa 1 de la déclaration Universelle des droits de l’homme proclamée le 10 décembre 1948. 

[2]     Serge Moscovici  a décrit la construction sociale de l’homme dans son ouvrage, La société contre nature, Points, Seuil.

[3]     « La jouissance à tout prix, c’est le travail sans frein de la pulsion de mort », Jean Laplanche dans Nouveaux fondements pour la psychanalyse, Quadrige, PUF.

[4]     Jean Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, Nagel

[5]     « Encore. Dire encore. Soit dit encore. Tant mal que pis encore. Jusqu’à plus mèche encore. Soit dit plus mèche encore.

       Dire pour soit dit. Mal dit. Dire désormais pour soit mal dit.

       Dire un corps. Où nul. Nul esprit. Ça au moins.  Un lieu. Où nul. Pour le corps. Où être. Où bouger. D’où sortir. Où retourner. Non. Nulle sortie. Nul retour. Rien que rester là. Là encore. Sans bouger. »

       Samuel Beckett, Cap au pire, Trad. E. Fournier, Les Éditions de minuit.

[6]     Voir l’ouvrage de Gilles Deleuze et de Félix Guattari, L’anti-Œdipe, Les Éditions de minuit.

[7]     Roland Barthes avait déjà décrit ce phénomène avec la DS, dans Mythologies.

[8]     Hannah Arendt, Le système totalitaire, Points, Seuil.

[9]     « On peut donc appeler totalitaire une pensée qui sait localiser pour les réduire les propos les plus abstraits. Qui, dans la parole, n’entend que celui qui la parle. Qui rabat l’individu sur la collectivité au sein de laquelle il lui est donné de vivre... », Alain Finkielkraut, La sagesse de l’Amour, NRF, Gallimard, chapitre troisième.  L’auteur cite par ailleurs Elias Canetti, Masse et Puissance, également chez Gallimard.

[10]   Voir note 1.

[11]   Notion définie par Emmanuel Lévinas, dans  L’intrigue de l’infini, Champs, Flammarion.

[12]   Kant nous le rappelle : « On obtient juste le contraire du principe de la moralité, si l’on prend pour principe déterminant de la volonté le principe du bonheur personnel.... » ,  Emmanuel Kant, Critique de la raison pratique, PUF, Quadrige, p. 35. L’individualisme contemporain est exactement à ce stade de complet oubli de toute loi universelle morale. Cela signifie par ailleurs que la position néolibérale qui veut soi-disant assurer l’harmonie générale par le bonheur de chacun grâce à la concurrence parfaite est philosophiquement intenable.

[13]   Cornélius Castoriadis, L’individu privatisé, Le Monde Diplomatique, Février 1998. Également, à lire, du même auteur, La montée de l’insignifiance, Seuil.

[14]   Theodor Adorno, Dialectique négative, Payot.

[15]   Même le pire despote, autocrate tyrannique dans le cynisme de ses crimes,  ne doit pas être jugé de façon despotique, mais démocratique : à lui aussi s’applique le droit au développement durable. Par contre, le jugement doit être réellement appliqué. Voir Alain Finkielkraut, opus cite, par rapport au jugement de Louis XVI. En ce sens, le refus de Robespierre d’un jugement équitable augurait de l’époque de la terreur. On ne peut refuser les droits de l’homme au nom des droits de l’homme, ou au nom du peuple. Mais celui qui les menace, ou les a enfreint, doit être jugé.