De crises en crises, vers le capitalisme de la destruction.

 

La crise actuelle n’est pas une crise du capitalisme au sens originel du mot. Ce n’est pas une crise de surproduction, de stocks invendables, mais au contraire c’est une crise du système qui s’est mis en place après la crise de 2001, le système capitaliste de la destruction, ou plutôt le capitalisme de la destruction.

 

 

Les crises précédentes

La crise que nous connaissons n’est pas la première que le système affronte. Nous pouvons dire que trois grandes crises ont eu lieu depuis les années soixante-dix :

 

*   La crise du capitalisme dans le milieu des années soixante-dix,

*   La crise du néocapitalisme dans les années deux mille,

*   La crise du capitalisme de la destruction que nous connaissons actuellement.

 

Reprenons les choses dans l’ordre.

 

Dans les années soixante-dix, une crise structurelle grave a été catalysée (mais pas déclenchée) par la première crise du pétrole. A l’époque, nous sommes au cœur de ce que nous appelons aujourd’hui « les trente glorieuses ». Production massive de biens de consommation dans des unités fordiennes de grande concentration ouvrière, développement de la consommation à des catégories alors relativement pauvres, explosion de l’automobile. En terme de structure, ce sont des grandes entités qui dominent, le capitalisme industriel est florissant, les grandes entreprises créent du taux de profit à travers la production, et la vente, de biens matériels à grande échelle.

 

Survient alors la crise du pétrole, avec de fait augmentation des stocks, diminution des profits, création d’un niveau de chômage jamais envisagé auparavant. C’est de fait la crise du capitalisme classique qui ouvre une ère jamais refermée depuis.

 

La réponse à cette crise a été le développement, à partir des années quatre-vingt, d’un nouveau capitalisme, que l’on peut appeler « néocapitalisme », ou « turbocapitalisme », qui consistait à modifier structurellement le type de production en remplaçant la plus-value créée à partir des biens matériels par une plus-value créée à partir de la conception, ou de la qualité d’information transmise dans le bien (exemple un logiciel vendu par Bill Gates). Le produit vendu pouvait être virtuel, reproductible à l’infini, ou un ben matériel réel contenant des  produits sophistiqués. Parallèlement, la structure même des entreprises éclatait en  organismes plus petits établissant un réseau contracto-industriel complexe.

 

La crise de la bulle Internet de 2001 correspond à une crise de ce néo-capitalisme, dans la mesure où la création de plus-value sur des produits virtuels pouvait être problématique (comment créer de la valeur à partir d’un service gratuit, par exemple). Des mécanismes, soit par système payant, soit par la publicité, ont été mis en place, mais l’espoir de gains considérables s’est éloigné malgré tout.

 

Une modification insidieuse

La solution trouvée a été la financiarisation capitaliste destructive. Il ne s’agit bien évidemment pas de révolutionnaires che guevaristes, ou besancenotiens, à Wall Street, mais de financiers qui font de la plus-value par la destruction du système industriel. C’est du capitalisme où la plus-value est créée par la décroissance industrielle.

 

A partir des années 2000, les taux de profits des industries capitalistes, et même néocapitalistes, étaient devenus insuffisants. Un nouveau mécanisme a été mis en place qui consistait, tant que cela fonctionnait, à de créer de l’argent à partir de démantèlement des industries traditionnelles ou non. Un fonds d’investissement trouve une cible, une entreprise en difficulté, fait un emprunt, achète l’entreprise, restructure la dite entreprise en « rationalisant », c’est-à-dire en virant une part du personnel et la revend avec une plus-value confortable. C’est du capitalisme de la destruction dans la mesure où le profit industriel ou néo-industriel se fait avec du personnel réel, et celui-ci diminue par la restructuration. La prise de valeur de l’entreprise n’est due qu’à un effet de diminution des déficits immédiats, en surexploitant le personnel restant, en réduisant les coûts jusqu’à la limite où la productivité s’effondre. Il s’agit bien entendu de vendre avant cet effondrement. C’est le dernier acheteur qui paye les pots cassés, en général en fermant l’entreprise en question.

 

La crise actuelle

La crise des « subprimes » joue dans la même sphère, celle au final des constructions destructives, où il s’agit de ne pas être le dernier. Et en l’occurrence, le dernier c’est l’état, donc l’ensemble des citoyens bernés !

 

La crise des subprimes n’est donc en réalité qu’une conséquence d’un mouvement bien plus ancien. La croissance des taux de profits via la part des profits dus à la sphère de la conception, a augmenté à partir des années quatre-vingt. Les taux de profits générés étant bien plus importants, l’attraction due aux nouvelles technologie qui intègrent ce genre de mécanisme a cru de façon très forte. Il s’en est suivi, afin de survivre à la concurrence, une quête aux taux de profit pour les industries plus classiques, ou moins technologique. D’où le recours à la Chine et aux délocalisations. La conséquence de ce mouvement a été la perte d’emplois, et la stagnation du pourvoir d’achat des salariés. Ceci conduit à la diminution de la demande, compensée, et là interviennent les subprimes, par le crédit.

 

Dans le même temps, on détruisait les emplois, on augmentait la plus-value, on accumulait les richesse d’un côté et la pauvreté de l’autre, en accentuant le phénomène par le recours au crédit pour faire financer par les pauvres la croissance des riches. Il est évident que cela ne pouvait pas durer longtemps (malgré la croyance au « développement durable »)

 

Pour compenser cet effet, il faut en contrer non les symptômes, mais la cause. Et celle-ci est l’excès de taux de profits générés.

 

Il est donc impératif, si la société ne veut pas être détruite, de limiter ces taux, donc de diminuer la productivité du travail en augmentant la quantité monétaire liée aux salaires, et diminuer la part liée aux profits, qu’ils soient distribués sous forme d’action, de produits financier ou d’argent destinés  aux haut management et aux grands actionnaires.

 

La part du politique est prépondérante pour remettre un équilibre que les acteurs ne peuvent d’eux-mêmes établir, tant une sorte de concurrence aux hauts revenus existe dans les hautes directions.

 

L’augmentation de la part du salariat ne signifie pas forcément l’augmentation des salaires quantitatifs. Les politiques sociales, de santé, de scolarisation, de transports publics, de loisirs publics, participent aussi de cette redistribution.

 

L’étape que nous vivons actuellement doit nous préparer à des modifications importantes. Les décideurs sont dans une situation où ils devraient renoncer à leurs anciens privilèges pour que le système perdure. Mais ils ne le font pas car comme individus, leur idéologie les pousse vers une accumulation constante et croissance, et c’est cette accumulation qui mène où nous en sommes.

 

La lucidité de la population sur les capacités des dirigeants, et une ténacité à vouloir survivre peuvent être des ferments d’un changement radical. Le capitalisme du profit sans limite est arrivé en fin de courses, même si des branches sont encore vivantes.

 

Solutions et impasses

Les réponses actuelles, de la relance de la consommation au rachat des actifs pourris des banques par les états ne sont que des palliatifs sur le symptôme, qui en réalité enfoncent les États dans des dettes sans fin, sans rien changer au problème.

 

S’il faut nationaliser les banques, cela n’est pas pour refaire les mêmes erreurs. Les entreprises doivent cesser de devoir produire du profit pour des actionnaires qui n’investissent pas, ou dans la destruction. Pour cela, il faudrait cesser les liens existants entre les bourses et les entreprises, et le remplacer par des investissements par prêts bancaires garantis. Ce qui évite les dettes infinies des dividendes. Au fond, ce serait une économie de marché sans capitalistes, sans des sortes de parasites financiers qui font trimer la planète pour leur bien personnel.

 

La réponse est dans la limite, l’équilibre. Le développement durable est un oxymore. Seul l’équilibre est durable. Il signifie, ou peut signifier rééquilibre, notamment entre les pays pauvres et riches, ou à l’intérieur des pays, entre les ruinés et les bénéficiaires.

 

Remettre en cause le capitalisme signifie aussi cela, c’est-à-dire se poser la question de sa légitimité, de la façon des gérer, pour qui, par qui, de la relation capital-travail, de la liberté d’œuvrer en-dehors du système des entreprises, de déconnecter celles-ci de la bourse, du retour du droit au service public, de la juste répartition, et de la limitation,  de la plus-value créée, de la structure fondamentalement non démocratique, archao-hiérarchique,  voire totalitaire, des entreprises, de la nécessité de croissance dans un univers aux ressources limitées. Si les mots ont un sens, ce serait, notamment,  cela. S’ils n’en ont pas, ce peut être n’importe quoi.

 

Jean-Paul Foscarvel